LETTRE À LÉONIE BIARD
Samedi. -- trois heures du matin.
Je rentre. J'ai ta lettre.Cette douce lettre, je l'avais lue aujourd'hui dans tes yeux. Que tu étais belle tantôt aux Tuileries sous ce ciel de printemps, sous ces arbres verts, avec ces lilas en fleurs au-dessus de ta tête. Toute cette nature semblait faire une fête autour de toi. Vois-tu, mon ange, les arbres et les fleurs te connaissent et te saluent. Tu es reine dans ce monde charmant des choses qui embaument et qui s'épanouissent comme tu es reine dans mon coeur.
Oui, j'avais lu dans tes yeux ravissants cette lettre exquise, délicate et tendre que je relis ce soir avec tant de bonheur, ce que ta plume écrit si bien, ton regard adorable le dit avec un charme qui m'enivre. Comme j'étais fier en te voyant si belle! Comme j'étais heureux en te voyant si tendre!
Voici une fleur que j'ai cueillie pour toi. Elle t'arrivera fanée, mais parfumée encore; doux emblème de l'amour dans la vieillesse. Garde-la; tu me la montreras dans trente ans.
Dans trente ans tu seras belle encore, dans trente ans je serai encore amoureux. Nous nous aimerons, n'est-ce pas, mon ange, comme aujourd'hui, et nous remercierons Dieu à genoux.
Hélas! Toute la journée de demain dimanche sans te voir! Tu ne me seras rendue que lundi. Que vais-je faire d'ici là? Penser à toi, t'aimer, t'envoyer mon coeur et mon âme. Oh! de ton côté sois à moi! à lundi! -- à toujours!
Référence. Victor Hugo, lettre à Léonie Biard, citée dans Diaz et alii, p. 179.
Explication
1. Situation. Lettre d'amour. Billet doux. Louange. Conter fleurette : le texte a non seulement une fonction émotive, mais encore une valeur illocutoire. Il s'agit de dire du bien pour séduire.
2. Enonciation. Temps énonciatifs : présent, plus-que-parfait, imparfait (en présence d'embrayeurs, l'imparfait peut marquer l'antériorité au plan de l'énonciation) et futur.Marques du locuteur : localisations temporelles ayant pour repère le temps de l'encodeur (je rentre, tantôt); subjectivité affective (ta douce lettre) et évaluative (que tu étais belle); points d'exclamation. Valeur illocutoire de l'affectivité : déclencher une réaction émotionnelle chez la destinataire. Fonction conative de la subjectivité : elle vise à favoriser l'adhésion. «Sois à moi» : ancrage textuel de la fonction conative, injonction. Le soulignement de la valeur conative de son allocution par le destinateur révèle l'intentionnalité qui préexiste à l'énonciation. La signature est absente : marque du secret? Impossibilité pour un tiers de connaître les référents de «je» et de «tu».Marques de la destinataire. Les appellatifs («mon ange» : mot doux). Les possessifs (ta lettre).
3. Thématisation de la distance.Le futur dans «elle t'arrivera» souligne le décalage entre le moment de l'écriture et celui de la lecture. §5 : complainte. La séparation est vécue comme un manque.
4. La lettre comme mise en présence des partenaires.La lettre comme représentant métonymique de l'expéditrice (ta douce lettre) : la lettre est contenue dans les yeux (synecdoque de la personne). La réception entraîne des effets passionnels (elle est une conjonction avec un objet investi de valeurs, constituant une quasi-présence).Construction de la figure de l'autre (§1 et 2) : description. La lettre évoque la présence de l'autre.La lettre du destinateur est non seulement constituée d'un discours mais encore d'un objet : la fleur. La fleur est un représentant métonymique du scripteur et un représentant métaphorique de l'amour dans la vieillesse. Mise en présence de soi à l'autre.}
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